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Que peut nous apprendre la paramécie sur la biologie des génomes ?

Jeudi 4 novembre 2010, Mireille Bétermier, Centre de Génétique Moléculaire

Le nouveau cycle des jeudis de la recherche s’est ouvert par une visite au Centre de Génétique Moléculaire (CGM) de Gif sur Yvette. Mireille Bétermier ainsi que plusieurs de ces collègues sont ainsi restés dans leur laboratoire après leur journée de travail pour nous accueillir et nous permettre de nous familiariser avec un organisme vivant qui possède des caractéristiques tout à fait singulières : la paramécie.

La paramécie est un organisme unicellulaire, c’est-à-dire qu’elle est constituée d’une unique cellule. Toutefois cette cellule possède une taille relativement grande puisqu’elle avoisine le dixième de millimètre (une cellule humaine moyenne a un diamètre dix fois plus petit). On peut également ajouter que la paramécie est recouverte de cils à l’extérieur. Ces cils ont une importance vitale pour la paramécie puisqu’elle les utilise pour se déplacer, capturer ses proies mais aussi pour respirer en brassant le milieu dans lequel elle vit et donc de trouver plus facilement de l’oxygène. Ces cils sont si emblématiques des paramécies et de ses proches cousines qu’ils leur ont donné le nom du groupe auquel elles appartiennent : Les ciliés.

On peut alors se demander dans quelles contrées extraordinaires vivent ces êtres atypiques… La réponse peut paraître surprenante mais les ciliés vivent tout autour de nous, dans tous les milieux d’eau douces qui nous entourent. Dans chaque flaque d’eau, on est susceptible de trouver des ciliés ! Nous avons pu nous en rendre compte lors de notre visite en observant ces microorganismes issus de l’eau d’un vase. Il est assez fascinant d’observer ces petits individus se promener de manière gracieuse à travers l’objectif des microscopes. L’équipe de M.Bétermier étudie plus particulièrement une espèce de paramécie : Paramecium tetraurelia. Il s’agit d’une espèce modèle utilisée par des centaines de laboratoires à travers le monde. Elle a été choisie par la communauté scientifique pour être l’espèce de référence de leurs expériences, on parle alors d’espèce modèle.

Mais pourquoi des centaines de chercheurs se penchent-ils sur ce petit organisme ? Nous avons eu la réponse à cette question en écoutant l’exposé de Mireille Bétermier. La paramécie possède des caractéristiques au niveau de son génome qui pourrait nous permettre de mieux comprendre ce qui se passe dans le nôtre !

Dans une cellule humaine, on trouve un seul noyau. Ce noyau renferme l’ADN, support de toutes les informations nécessaires pour la vie de la cellule. L’ADN est une succession d’unités simples appelées nucléotides qui constituent un code. Parfois l’enchainement de ces nucléotides donne une suite que peut interpréter la cellule, il s’agit d’un gène. Le gène est donc un ensemble de nucléotides qui peut aboutir à la production d’une protéine. Chaque gène code pour une protéine bien précise. Le rôle du noyau est donc de produire des protéines grâce à l’ADN qu’il contient. Dans le noyau, l’ADN peut-être condensé sous la forme des chromosomes. C’est sous cette forme que nous avons l’habitude de schématiser l’ADN.

Nous avons d’ailleurs pu observer l’ADN de paramécie. Pour le visualiser, il faut utiliser un produit chimique qui s’intercale entre les bases de l’ADN. Ce produit révélera la présence d’ADN car il émet de la lumière lorsqu’on le soumet à un rayonnement ultra-violet. Ce type d’expérience est utilisé quotidiennement dans les laboratoires pour observer l’ADN. Certains d’entre nous se sont donc mis dans la peau de vrais chercheurs en enfilant blouse et gants afin exécuter cette expérience.

Chez l’homme, on distingue deux types de cellules différentes dont les cellules somatiques qui constituent la majorité de nos cellules. Leur rôle est de produire les protéines dont nous avons besoin. Une cellule somatique se divise en formant deux cellules filles, identiques. Chaque cellule somatique possède un ADN où les chromosomes sont associés par paires. L’autre type cellulaire est minoritaire mais d’une importance fondamentale : les cellules germinales. Les cellules germinales sont également appelées gamètes. Chez l’homme, ce sont les spermatozoïdes et chez la femme les ovules.

Chez l’espèce humaine, c’est par les gamètes que se fait la transmission du patrimoine génétique à la descendance car les cellules somatiques ne sont pas transmises à la descendance, elles meurent avec le corps de l’individu qu’elles composent. Dans ces gamètes, les paires de chromosomes ont été auparavant séparées et réparties dans deux cellules gamétiques distinctes, La quantité d’ADN est donc deux fois plus faible dans les cellules gamétiques que dans des cellules somatiques. Mais pour un organisme unicellulaire, qui n’est constitué que d’une seule cellule, il est difficile d’imaginer la capacité de produire des gamètes. Et pourtant, chez les ciliés, c’est possible, et cela représente une caractéristique assez fascinante. Alors qu’une cellule humaine ne contient qu’un unique noyau, la paramécie en possède plusieurs. On trouve un macro-noyau ayant pour rôle la production de protéines nécessaire à la vie de la paramécie et deux micro-noyaux qui produiront les gamètes.

La plupart du temps, la paramécie se multiplie comme une cellule somatique. On parle alors de multiplication végétative. C’est-à-dire qu’elle fait des clones et cette division dure six heures. Mais la difficulté réside dans le fait que chaque cellule fille devra avoir deux micro-noyaux et un macro-noyau afin d’être viable. Pour cela, la cellule mère va avant de se diviser, doubler son nombre de micro-noyau et doubler la taille de son macro-noyau. Une fois ces étapes passées, la cellule se divise en deux, en ayant bien pris soin de bien répartir un macro-noyau et deux micro-noyau dans chaque cellule fille (voir photos).

Mais la paramécie a aussi une reproduction sexuée. C’est le cas lorsque le milieu dans lequel elles vivent est carencé en nutriments. On observe alors les paramécies se reproduire. Lors de notre visite, nous avons pu espionner, grâce à l’indispensable microscope, Paramecium tetraurelia au cours de la reproduction que l’on appelle dans ce cas « la conjugaison ». Les cellules se cherchent dans un joyeux ballet pour enfin s’assembler en couple puis elles entreprennent une gracieuse chorégraphie à base de vrilles.

Lors de la conjugaison, les cellules s’échangent leurs micro noyaux. Comme ces noyaux ne proviennent pas des mêmes cellules, elles ne possèdent pas le même génome. La conjugaison permet donc de mélanger les gènes, de brasser le patrimoine génétique avec peut-être à la clef, une bonne combinaison de gènes permettant de mieux s’adapter au milieu (cf cycle sexuel de la paramécie).

Toutefois, l’étape qui intéresse Mireille Bétermier et son équipe est la transformation du noyau zygotique (issu de la fusion de deux micro-noyaux) en macro-noyau. Car une différence majeure distingue le noyau zygotique et le macro noyau. Dans le macro noyau, pour que l’expression des protéines soient correctes, l’ADN est bien agencé, contrairement à l’ADN du noyau zygotique ou celui du micro noyau, où l’ADN est désordonné. Mélangé à tel point, que les protéines ne peuvent être produites.

Il existe donc un mécanisme de réagencement de l’ADN qui permet à la paramécie d’obtenir un macro noyau avec un ADN bien rangé. Pour cela, il faut de multiples coupures puis collages de morceaux d’ADN et ces processus sont similaires aux réarrangements intervenant dans la synthèse des anticorps chez l’être humain ou encore aux remaniements chromosomiques associés à certains cancers chez les vertébrés. Chez la paramécie, ces réarrangements chromosomiques touchent l’ensemble du génome et peuvent être facilement déclenchés. C’est donc pour cela que la paramécie est un organisme modèle pour l’étude des réarrangements de l’ADN avec l’espoir de mieux comprendre comment nos cellules sont capables de produire un éventail de millions d’anticorps différents mais aussi d’appréhender la formation de certains cancers.

Comprendre les tenants et les aboutissants des mécanismes de recombinaison de l’ADN chez la paramécie est donc une chance de mieux connaître ce qui se passe dans nos cellules. On voit donc plus facilement l’intérêt de poursuivre les recherches sur la paramécie et son étrange génome. Et qui l’aurait cru en observant ce petit organisme ovale nageant dans l’eau croupie d’un vase…