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Un outil remarquable pour connaître la forme des molécules : la Résonance Magnétique Nucléaire

Pour cette rentrée des jeudis de la recherche à l’ICMMO (Institut de Chimie Moléculaire et des Matériaux d’Orsay), nous avons rencontré l’équipe de Denis Merlet, professeur de chimie à l’Université Paris Sud. Nous avons pu, au cours d’une présentation, découvrir le principe de la Résonance Magnétique Nucléaire, son importance grandissante dans différents domaines ainsi que les imposants spectromètres RMN lors de la visite du laboratoire.

Un monde moléculaire à analyser

Le monde, vu par les chimistes, est composé de molécules. Prenez un verre de jus d’orange par exemple. C’est un mélange complexe d’eau, de sucre, de vitamine C (acide L-ascorbique), de molécules aromatiques comme le limonène, etc.
Les chimistes utilisent et développent des méthodes d’analyse pour caractériser ces molécules : de quels atomes sont-elles composées (formule brute), comment ces atomes sont-ils liés les uns aux autres (formule développée) et enfin le dernier degré d’organisation : comment la molécule est-elle déployée dans l’espace. Cette conformation de la molécule dans l’espace influence beaucoup ses propriétés. Certaines molécules sont dites chirales : elles présentent deux formes différentes (appelées énantiomères) qui ont la même formule, les mêmes liaisons chimiques mais sont images l’une de l’autre dans un miroir, comme le sont nos deux mains. Elles ont presque toujours les mêmes propriétés physiques ou chimiques sauf lorsqu’elles interagissent avec d’autres molécules elles-mêmes chirales. Pour donner une image simple : on peut enfiler indifféremment son pied gauche ou son pied droit dans une chaussette mais pas sa main droite dans un gant gauche et réciproquement. Ces interactions entre molécules chirales revêtent une importance particulière dans le domaine du vivant, par exemple dans la reconnaissance entre un récepteur et sa cible. _

Enantiomères du limonène

Ce mécanisme clé-serrure est ainsi impliqué dans l’odorat : des récepteurs à l’extrémité des neurones olfactifs sont activés ou non selon la forme de la molécule odorante. Ainsi, l’un des énantiomère du limonène a une odeur de citron, l’autre d’orange. Plus tragiquement, certains médicaments ont eu des effets dévastateurs (comme la thalidomide sur les fœtus) car seul un des énantiomères était utile, l’autre étant un poison.

La RMN : côté théorie

Denis Merlet et ses collègues utilisent la RMN comme technique d’analyse. Ce sigle signifie : Résonance Magnétique Nucléaire mais n’a strictement rien à voir avec la radioactivité ! C’est une technique puissante et des spectromètres équipent la plupart des laboratoires de chimie. C’est également une technique coûteuse : un spectromètre peut valoir de 300.000 à 12 millions d’euros selon sa précision et son utilisation nécessite une politique scientifique à l’échelle d’un laboratoire pour les plus petits, voire à l’échelle d’un organisme comme le CNRS pour les plus gros. C’est enfin la technique qui a donné lieu au plus de prix Nobel : 8 en tout (physique-chimie-médecine).

La RMN repose sur certaines propriétés magnétiques des noyaux des atomes composant les molécules. Pour décrire correctement ces propriétés, il faudrait utiliser les concepts de la mécanique quantique mais on peut essayer de s’en faire une idée avec des images plus simples. Certains noyaux atomiques, comme celui de l’hydrogène ou du carbone13 (un noyau de carbone comportant un neutron de plus que le carbone « courant ») se comportent comme un petit aimant. En présence d’un champ magnétique, cela conduit à obtenir différents niveaux d’énergie du noyau. Pour passer d’un niveau d’énergie à l’autre, le noyau atomique peut absorber une onde électromagnétique (domaine des ondes radio). La fréquence de cette onde électromagnétique dépend du champ magnétique appliqué et des caractéristiques du noyau atomique placé dans son environnement. Pour un champ magnétique donné, elle sera centrée autour d’une valeur caractéristique de l’atome considéré (H, 13C, etc), avec, et c’est là tout l’intérêt, de petites modifications liées à l’environnement du noyau et en particulier aux liaisons chimiques que l’atome établit avec d’autres atomes.
C’est donc la valeur de la fréquence de l’onde électromagnétique absorbée par le noyau atomique qu’on cherche à obtenir. Si par exemple, on travaille avec les noyaux d’hydrogène d’une molécule (cas le plus fréquent), on va obtenir un ensemble de fréquences – un spectre- caractéristique des différents hydrogènes de la molécule. Plus le champ magnétique sera élevé et plus les fréquences de chaque hydrogène de la molécule seront différentes d’où une meilleure résolution.
La RMN est donc une technique très puissante pour déterminer la structure des molécules, des plus petites aux plus grosses, comme les protéines.

La RMN : côté pratique.

Spectromètre RMN vu en coupe

La plus grosse difficulté : créer un champ magnétique très intense (plusieurs teslas, soit 100.000 fois le champ magnétique terrestre) parfaitement homogène. Actuellement, on utilise des bobines supraconductrices pour générer le champ magnétique. Les supra conducteurs sont des matériaux qui n’opposent aucune résistance au passage d’un courant électrique et donc peuvent supporter des intensités considérables et générer de forts champs magnétiques. Mais cette propriété n’est effective qu’à des températures proches du zéro absolu (-273°C).

Pour pouvoir utiliser le spectromètre RMN, il faut constamment préserver une température suffisamment basse pour garder les propriétés de supraconductivité et ainsi éviter à la bobine de fondre et de détruire définitivement le spectromètre. Seul l’hélium liquide permet d’atteindre ces températures ultra-basses. C’est donc dans ce liquide que baigne la bobine. Afin d’éviter les déperditions de chaleur, cette capsule est entourée d’une zone de vide, elle-même immergée dans de l’azote liquide. L’azote liquide, permet déjà d’atteindre des températures très basses et est beaucoup moins onéreux que l’hélium. Dans un spectromètre classique, on ne fait donc le plein d’hélium que tous les 3 à 6 mois mais il ne faut jamais oublier de remplir le réservoir d’azote liquide chaque semaine. A cause de ces impératifs de refroidissement, les spectromètres sont très gros par rapport aux échantillons utilisés.

Actuellement, pour obtenir les spectres RMN, on envoie une impulsion radiofréquence sur l’échantillon et on mesure le signal émis par les noyaux atomiques qui retournent à leur état d’équilibre sous forme d’un courant induit dans une bobine. Grâce à un traitement mathématique approprié, on peut extraire de ce signal les fréquences RMN qui nous intéressent.

La RMN en milieu chiral

Le spectre RMN est une empreinte très caractéristique de chaque molécule qui permet d’élucider sa structure dans l’espace… à ce « petit » détail près que les deux énantiomères d’une molécule chirale ont le même spectre en RMN « classique ». Il faut donc utiliser un milieu qui oriente différemment les deux énantiomères d’une molécule chirale. Un cristal liquide est un milieu intermédiaire entre un milieu cristallin où règne un ordre de position en 3 dimensions et un liquide amorphe où aucun ordre n’existe. Dans un cristal liquide, l’ordre est intermédiaire : par exemple toutes les molécules peuvent être orientées de la même façon mais la distance d’une molécule par rapport à une autre peut être aléatoire. L’intérêt du liquide est qu’il permet de solubiliser la substance à étudier. L’intérêt de l’ordre partiel est de faire apparaitre de nouvelles caractéristiques dans le spectre, qui étaient annulées dans un spectre classique du fait de la moyenne de toutes les orientations, donc des informations supplémentaires.
Si on utilise un cristal liquide chiral comme solvant pour la molécule chirale à étudier, le spectre RMN permet de discriminer les 2 énantiomères. Cette méthode est actuellement en plein développement dans l’équipe de Denis Merlet.

En route pour la visite !

Nous avons pu découvrir 2 des 4 spectromètres qui équipent l’ICMMO. Dans le couloir : les plannings ! Des chercheurs du laboratoire mais aussi d’autres laboratoires voisins peuvent obtenir un accès sur ces machines. Un spectromètre RMN a l’aspect d’un gros cylindre et il est déconseillé de s’en approcher avec des objets sensibles au champ magnétique (téléphone portable, clefs, carte bleue)…. sous peine de déconvenues voire de réel danger pour les personnes porteuses d’un pace-maker. Comme nous l’avons vu, c’est la nécessité de refroidir fortement la bobine supraconductrice qui conditionne la taille de l’appareil : environ 1 m de haut. L’échantillon, lui, est beaucoup plus petit : des capsules de 2 cm de hauteur et 4mm de diamètre pour des solides, des tubes de 18 cm de hauteur et de 5 mm de diamètre pour contenir les liquides. L’échantillon doit être introduit à une position très précise pour que le spectre soit enregistré correctement.

spectre RMN du menthol

Nous avons pu voir naitre sur les écrans le spectre du menthol. Rien qu’à l’allure d’un spectre RMN, un chimiste aguerri est capable d’imaginer la structure d’une petite molécule. Pour reconstituer en trois dimensions des structures plus complexes, il faudra faire appel à un ordinateur qui analyse le spectre en référence à des bases de données.

Ce jeudi de la recherche a permis d’en connaitre un peu plus sur une des méthodes les plus utilisées en analyse chimique et sur les développements expérimentaux qui l’accompagnent toujours. Sachez enfin que cette technique dépasse largement le cadre des laboratoires de recherche car chaque jour, lorsque des patients passent une IRM (Imagerie par Résonance Magnétique), ils subissent le même type d’analyse que les échantillons dont nous venons de parler. Nos organes étant essentiellement composés d’eau, il n’est pas difficile d’y trouver des noyaux d’hydrogène ! Dans ce cas la RMN est utilisée pour déterminer la forme d’échantillons. La zone à étudier est en effet soumise à un champ magnétique et la multiplication d’acquisitions de données permet d’avoir une image en 3D. Cette méthode présente moins de risque qu’un scanner (pas de rayons X qui peuvent à trop forte dose causer des dommages) mais elle coûte plus cher. On ne dispose aujourd’hui que d’environ 500 installations IRM ce qui porte à plus d’un mois le délai d’attente pour passer un examen.